Malgré l’échec appréhendé de la réforme Pronovost et l’emprise croissante à prévoir de l’industrie agroalimentaire, est-il encore possible de nous réapproprier nos terres et notre nourriture par un plan de souveraineté alimentaire dans chaque territoire, y compris les territoires urbains? Nous sommes en train de céder nos terres et notre agriculture à des consortiums, dont les dirigeants sont à l’étranger le plus souvent, qui les exploiteront de plus en plus aux fins de leurs projets commerciaux mondiaux. D’ailleurs, le recul du gouvernement sur la réforme Pronovost ne fait que laisser le champ libre à ces intégrateurs qui avalent nos fermes locales et indépendantes les une après les autres. Monsieur Bouchard nous présentera un modèle de réappropriation de nos terres agricoles par les communautés locales et régionales et du citoyen-mangeur, qui occupe un rôle prépondérant par rapport à celui de l’agrobusiness préconisé dans le Livre vert publié cet été.
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Les propositions formulées dans le rapport de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois ont réjoui les partisans d’un virage vers une industrie à visage plus humain. Le rapport Pronovost reconnaît en effet «le besoin de diversifier la production, de miser sur la valeur ajoutée, de développer les produits de niche et du terroir de même que la production biologique». Bref, il pourrait bien ouvrir la porte aux idées qu’ils préconisent depuis des années. À condition que les élus emboîtent le pas.«Le rapport Pronovost est une révolution complète, affirme d’entrée de jeu le porte-parole de l’Union paysanne, Benoît Girouard. On y vise vraiment une nouvelle forme d’agriculture au Québec, en vertu de laquelle on valoriserait les fermes familiales et l’agriculture de proximité, mais aussi les produits biologiques et le terroir. On propose d’ailleurs des mesures concrètes pour y arriver. C’est du jamais vu.»Certaines recommandations contenues dans le document, intitulé «Agriculture et agroalimentaire: assurer et bâtir l’avenir», marquent en effet un changement de cap certain dans la façon d’envisager la production de ce qui se retrouve dans nos assiettes: «Sans négliger pour autant les productions qui constituent l’assise principale du secteur, beaucoup d’intervenants ont fortement suggéré de miser sur des produits diversifiés et de développer, de manière complémentaire, une agriculture dite de proximité.» Des préoccupations largement reprises tout au long des 272 pages du rapport rendu public en février.Cette nécessaire diversification agroalimentaire est saluée par l’Union paysanne, qui presse le gouvernement d’aller dans cette direction depuis déjà quelques années. «C’est impossible, souligne M. Girouard, de lutter contre les agricultures des pays émergents dans la production de masse, comme le poulet ou les oeufs par exemple. On peut, au contraire, diversifier notre agriculture, la spécifier. On se mettrait à l’abri des règles commerciales mondiales, on permettrait un développement régional et on stimulerait les produits de niche, ce qui permettrait à notre agriculture de survivre.»Autre piste intéressante envisagée par les auteurs du rapport, la question du développement de produits «à valeur ajoutée» est chère à l’organisme Solidarité rurale du Québec. Son président, Jacques Proulx, reprend d’ailleurs à son compte l’exemple donné par M. Pronovost: le sirop d’érable. Le Québec, qui domine haut la main les exportations du précieux liquide sucré dans le monde, gagnerait selon lui à en faire un produit doté d’une certaine image de marque, à l’instar de ce qui se fait pour l’huile d’olive dans d’autres pays.Financement essentiel
La question du financement est évidemment le nerf de la guerre. En ce sens, l’État a un rôle essentiel à jouer pour stimuler cette créativité agroalimentaire. «Il importe de soutenir, de manière plus tangible que nous ne l’avons fait jusqu’ici, les fermes différentes qui ont décidé de répondre à l’appel des consommateurs québécois en faveur de produits différenciés à haute qualité nutritive, de mettre en valeur les terroirs, de pousser les spécialités de niche, d’accroître la production biologique, d’étendre les appellations contrôlées, etc.», expliquent les auteurs du rapport.
Le document, fruit d’une longue réflexion alimentée par plus de 700 mémoires, une tournée des régions et diverses autres consultations, souligne d’ailleurs les retombées positives pour des régions qui en ont bien besoin. «L’accompagnement de cette agriculture dite émergente est requis au nom de l’innovation dont elle fait preuve, de sa contribution à la diversification de la production agricole et du potentiel qu’elle présente pour la revitalisation de plusieurs collectivités rurales.»
Or, jusqu’à maintenant, constate-t-on, «le soutien aux entreprises agricoles de petite taille est largement déficient et les entrepreneurs qui veulent démarrer une telle entreprise éprouvent de grandes difficultés à la développer». Autre chose? «Les productions en émergence, celles qui peuvent contribuer à la diversification de la production agricole, sont peu soutenues par la recherche, le transfert technologique, les services-conseils, la formation et l’aide financière.»
Le diagnostic est on ne peut plus clair et est accompagné de propositions pour revoir en profondeur le système d’aide financière aux agriculteurs, ce qui ouvrirait la porte aux petits producteurs et à l’agriculture biologique. «Une très bonne idée», affirme Benoît Girouard. Il explique qu’actuellement, «le gouvernement accorde plus de 300 millions de dollars par année aux grands producteurs de porc, de maïs, de vaches et de veaux, contre un maigre million à ceux qui se consacrent au bio. C’est un scandale».
Le porte-parole de l’Union paysanne salue les recommandations du rapport Pronovost sur l’aide financière, estimant que de telles réformes sont essentielles. Présentement, laisse-t-il tomber, «les 1000 fermes qui font du biologique se retrouvent le plus souvent avec zéro dollar de subvention». Le rapport Pronovost relève lui aussi cette lacune: «Les producteurs biologiques, par exemple, ont dû expérimenter eux-mêmes, et à leurs frais, l’efficacité de certaines méthodes de production ou de commercialisation.»
Résultat? Alors que la demande augmente, le nombre de fermes stagne dans la province. Or, indique M. Proulx, la demande pour des produits plus fins et de meilleure qualité ne peut qu’augmenter, et ce, au Québec comme ailleurs dans le monde.
Retour à la terre
Conséquence surprenante de l’arrivée massive des «baby-boomers» à l’âge de la retraite, M. Girouard croit que ceux-ci pourraient être nombreux à effectuer une sorte de retour à la terre en se lançant dans de petites productions biologiques, de produits du terroir, etc. Bref, si le gouvernement leur offre des conditions propices au démarrage de ce type d’entreprises, le porte-parole de l’Union paysanne prédit «un boom» rural très bénéfique pour le Québec.
Afin de stimuler cet essor des campagnes, Jacques Proulx presse l’État d’assouplir la Loi sur la protection du territoire agricole, dans le sens où l’entend M. Pronovost dans son rapport: «Les règles du jeu actuelles rendent difficile l’aménagement d’un gîte du passant, d’une table champêtre, d’une école d’équitation ou d’un atelier de petite transformation alimentaire en territoire agricole, parce que ces activités ne sont pas spécifiquement agricoles.» Pourtant, à peine plus de 50 % du territoire agricole est utilisé à des fins de production agricole, et une bonne planification de l’utilisation du territoire pourrait facilement anticiper les problèmes de cohabitation que ces activités pourraient soulever, croit M. Proulx.
Le territoire agricole pourrait par exemple servir d’assise à des activités à caractère touristique, à l’agroforesterie, à des commerces de produits du terroir, à des activités de transformation alimentaire, à la production de produits non alimentaires et d’énergie, et à plusieurs autres usages compatibles avec le maintien d’une agriculture dynamique. Cette approche devrait aussi permettre l’installation de fermes sur de petites superficies, dans la mesure où les projets envisagés sont viables.
Reste que les changements contenus dans le rapport sont plus que majeurs, à l’image des défis qui attendent un secteur agroalimentaire bousculé, non seulement ici, mais à l’échelle planétaire. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’il en va de ce que l’on mange jour après jour, mais aussi de la pérennité de l’environnement, qui seul peut soutenir la vie. Et dans ce domaine, le temps presse, selon ce qu’ont affirmé tous les intervenants interrogés par Le Devoir.
Nature Québec, un regroupement d’organismes écologistes, a d’ailleurs vertement critiqué l’annonce récente faite par Laurent Lessard, le ministre de l’Agriculture, de la création de trois «chantiers» chargés de trouver des solutions aux problèmes mis en lumière dans le rapport Pronovost. «Dans sa trop courte réponse, le ministre n’aborde les questions environnementales et l’agriculture biologique que du bout des lèvres, et il continue de centrer son action autour de modèles industriels qui ne remplissent pas leurs promesses», a souligné Christian Simard, porte-parole du regroupement. Les craintes formulées par Nature Québec sont partagées par l’Union paysanne et Solidarité rurale du Québec.
L’attaché de presse du ministre, Jack Roy, se veut toutefois rassurant. Selon lui, le rapport est, pour le ministre Lessard, une véritable source d’inspiration. Il souligne d’ailleurs que les nouvelles formes d’agriculture font partie des priorités du ministre. «Le temps du changement est venu», fait valoir M. Roy, mais ce changement devra s’opérer «étape par étape», d’autant plus qu’il met en cause plusieurs ministères. Origine du texte >>> ICI
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